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Gerhard Richter, une vie, une oeuvre à la Fondation Vuitton

Jusqu’au 2 mars 2026, la Fondation Louis Vuitton présente une rétrospective de l’œuvre de Gerhard Richter. Peintre allemand né à Dresde en 1932, il a fui à Düsseldorf en 1961 avant de s’établir à Cologne, où il vit et travaille encore aujourd’hui.

Vue de l’exposition Gerhard Richter à la Fondation Vuitton. Photo DB

Ce qui frappe quand on visite cette impressionnante exposition, c’est la pemanence du propos de Richter, quelle que soit la période, la technique, le sujet. Il y a, chez cet artiste, une constance dans le questionnement du support et de la matière. De la forme et de la couleur. Du regard et de son interprétation. De l’image et de sa transcendence.

Par Dominique BANNWARTH

Vue de l’exposition. Photo DB

Peindre d’après des photographies

Les premières années en ancienne RDA communiste s’affichent dans une dominante de gris et sous la forme de reproductions de photographies grises et floutées.  La réalité captée par Richter durant cette période de formation à l’école est-allemande, à l’académie des beaux-arts de Dresde où il restera jusqu’en 1965, évoque cette part d’histoire d’après-guerre qui a laissé ses stigmates dans la mémoire collective, mais aussi dans celle des familles. D’ailleurs, les images inspirées par son album familial, conjuguent cette mémoire des êtres et de leur place dans la société allemande sous domination nazie.

Photo DB

L’oncle Rudi en uniforme de la Wehrmacht mort au début de la guerre, le portrait d’Emma ou de sa tante Marianne (qui souffrait de troubles mentaux et qui fut plus tard tuée par les nazis), évoquent ces souvenirs qui affluent à la surface d’une mémoire troublée.

Le « cliché » de la famille au bord de la mer se réfère à l’après-guerre (1964), à cette reconstruction de la société allemande qui va s’ouvrir peu à peu à  une nouvelle forme de vie « normale ». Les touches de peinture y sont plus nettes, comme figées dans une pose idyllique.

Familie am Meer, 1964. Gerhard Richter

D’autres peintures évoquent encore la guerre, notamment le bombardement de Dresde, auquel Richter semble opposer une vision quasi romantique d’un cerf blotti au fond d’un bois.

Hirsch (Cerf), 1963. Gerhard Richter

La « dépeinture » et la représentation

Invité à la 36e Biennale de Venise en 1972, Richter réalise une galerie de 48 portraits pour le pavillon allemand.

48 portraits , 1972. Gerhard Richter

En 1966, il avait déjà opéré sur le mode de la série en réalisant les portraits de huit élèves infirmières, victimes d’un faits divers de l’époque.

Acht Lernschwestern, 1966. Gerhard Richter

Son séjour vénitien l’inspire pour sa réinterprétation de L’Annonciation de Titien prenant pour modèle une carte postale. L’image de l’annonciation sous l’effet de l’estompage tend vers sa propre disparition.

La couleur décomposée

1024 Farben, 1973. Photo DB

Le gris qui ne dit rien

Le gris ne dit rien, il n'évoque ni sentiments, ni associations"

Gerhard Richter

Abstractions

En 1976, Richter peint son premier tableau abstrait « Konstruktion ». Le début d’une nouvelle voie suivie dans son travail mais qui n’exclue pas pour autant la figuration qu’il continue de décliner dans ses oeuvres de la même époque.

Abstraktes Bild, 1978

Il faut voir dans ces nouveaux tableaux abstraits une sorte de contrepied à la tendance du marché de l’art de ces années qui privilégiait cette forme comme éminement contemporaine.

Pour Richter, l’abstration consiste au contraire en une pratique « ‘naturelle » de la peinture », poussée par ce geste dans son entière liberté.

Strich (auf Rot), 1980 Photo DB

 

 

 

Histoires contemporaines

Richter revient aux sources photographiques au milieu des années 80. Il puise à nouveau dans l’actualité du moment, des sujets d’histoire immédiate comme la mort des membres de la fraction armée rouge.

Une cellule, des portraits de jeunes femmes terroristes, une arrestation, des tués par balle, morts par pendaison, un enterrement… les photos de presse ou de la police servent de support à la chronique de cette actualité liée à la bande à Baader qui a marqué ces années en Allemagne et que Richter fige dans le gris et le flou. Une manière de distanciation, de protocole de représentation qui interroge la mémoire collective.

 

Tote, 1988

Erschossener, 1988

Selbsporträt, 1996

 

Un seul autoportrait est à découvrir dans cette rétrospective, un tableau peint en 1996.

Il s’inscrit dans la série de portraits de famille plus intimes que Gerhard Richter a réalisés tout au long de sa carrière.

 

Emma (nu sur un escalier), 1966

 

Strip 2011

 

Ella, 2007

 

Birkenau, représentation et disparition

Birkenau, 2014

Ce sont quatre photographies prises clandestinement par un déporté, membre d’un Sonderkommando (*)  du camp de concentration d’Auschwitz-Birkenau, que Gerhard Richter a projeté sur une toile pour en faire d’abord un dessin au graphite, puis le transformer en peinture figurative en grisaille, avant d’effacer toute trace de figuration.

La réalité représentée de ces images de femmes marchant vers les chambres à gaz se dissout dans ces quatre tableaux dont seul le titre, Birkenau, renvoie à cette sinistre évocation.

La disparition est double, celle des photographies originales, puis celle de leur reproduction et de leur effacement.

La référence à la Shoah est évidente, même si le sujet de ces scènes disparait.

Apparaît en face de ces quatre grandes toiles, un miroir, où elles se reflètent, le spectateur se retrouvant intégré à cet ensemble, traversé par la résonance de ces images et de leur histoire.

Le spectateur se retrouve intégré au reflet des toiles dans un grand miroir. Photo DB

(*) Les Sonderkommandos étaient des groupes de déportés obligés par les nazis  à transporter et  manipuler les cadavres des personnes ayant été exterminées en groupes notamment pour les extraire des chambres à gaz et les placer ensuite dans des fosses communes ou des fours crématoires. »