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Medardo Rosso, l'oeuvre transfigurée

Contemporain d’Auguste Rodin (1840-1917), Medardo Rosso (1858-1928) s’impose dans l’histoire de la sculpture, comme une sorte d’anarchiste du geste artistique et de la forme plastique.

Par Dominique BANNWARTH

Medardo Rosso au Kunstmuseum de Bâle. Photo DB

« L’invention de la sculpture moderne », l’exposition du Kunstmuseum de Bâle – qui reprend le titre de celle présentée auparavant à Vienne en Autriche – consacrée à cet artiste né Italien à Turin puis devenu Français  en 1906, en a apporté une éclatante démonstration.

Une révélation pour tous ceux qui découvrait cette oeuvre plus méconnue que celle du « grand » Rodin.

Medardo Rosso au Kunstmuseum de Bâle. Photo DB

Rosso (rouge en italien…) fait plus que bousculer les paramètres de l’académisme qui fige la forme en objet définitif, il réinvestit en permanence son geste créatif, jouant de sa transformation, de sa déformation, de son instabilité.

La scénographie de l’exposition bâloise rend un magnifique hommage à cet artiste en mouvement perpétuel.

Medardo Rosso au Kunstmuseum de Bâle. Photo DB

Modelage, photographie, dessin : ces trois modes d’expression confèrent à l’oeuvre de Medardo un caractère multidimensionnel. La forme inspire le médium et le médium inspire la forme dans un aller -retour incessant entre la sculpture, la photographie ou le dessin.

Ce dialogue à l’intérieur même de son processus créatif se déploie également avec son environnement. D’abord avec les oeuvres d’autres artistes dans une volonté de cohabitation affinée dès le salon d’automne de Paris en 1904, où les créations du sculpteur cohabitaient avec des propositions impressionnistes et des toiles de Cezanne.

Une sculpture de Medardo Rosso en regard du tableau d’Edgar Degas « Jockey blessé ». Photo DB

A travers une cinquantaine de sculptures et plus de 250 photographies et la mise en regard d’oeuvres de soixante autres artistes, l’exposition illustre magnifiquement la démarche pionnière de Rosso.

Medardo Rosso au Kunstmuseum de Bâle. Photo DB

Sur la question du multiple et de la répétition, la confrontation avec une sérigraphie d’Andy Warhol ou les photographies de Sherrie Levine fonctionne de manière évidente.

Alors qu’à son époque la monumentalité et le prestige des sujets s’imposaient, Rosso oppose des sujets plus vernaculaires, pris dans le bas de l’échelle sociale. Une sorte de descente du piédestal qu’illustre à sa manière le « jockey blessé’ » d’Edgar Degas présenté dans la même salle, aux côtés du Balzac imposant du photographe américain Edward Steichen.

Photo de Balzac par Edward Sreichen. Photo DB

De la même manière, Rosso privilégie dans sa sculpture la matière la moins noble du modelage, la cire qui permet aussi de donner aux sculptures des reflets changeants selon le point de vue.

Medardo Rosso au Kunstmuseum de Bâle. Au fond, un film sur la danseuse Loie Fuller. Photo DB

Le film de la danse serpentine d’une Loïe Fuller recréant inlassablement son geste animant ses grands voiles, signifie parfaitement cette intention de ne pas figer les choses.

Il en va de même de la photographie – alors encore mode expression en devenir –  que Rosso n’utilise pas comme simple mode de documentation de son travail ou de modèle – contrairement à Rodin – mais comme un levier essentiel de sa création au service d’une « sorte de photo-sculpture », concept avancé par le critique d’art Ludwig Hevesi dès 1905.

"Nous ne somes rien d'autre que la conséquence des choses qui nous entourent"

Medardo Rosso

Dans la présentation du Kunstmuseum, la juxtaposition des oeuvres de Medardo Rosso et d’autres artistes offre des clefs de lecture très pertinentes de son travail.

Une pièce de Louise Bourgeois « Child devoured by kisses ». Photo DB

Ainsi, dans la salle identifiée par les verbes « toucher, étreindre, façonner », l’oeuvre de Louise Bourgeois Child devoured by kisses  (Enfant dévoré par les baisers) ou les photographies d’Alina Szapocznikow se répondent en écho parfait dans cette manière de fusion entre la matière et le sujet.

Avec les quatre têtes d’Ecce Puer, on peut magnifiquement percevoir l’évolution de la forme sculptée comme une matrice retravaillée à l’envi, aux tonalités changeantes, aux contours déconstruits.

 

Medardo Rosso au Kunstmuseum de Bâle

L’installation de Felix Gonzales-Torres. Photo DB

 

La démonstration s’avère encore plus lisible dans l’amoncellement de bonbons imaginé par Félix Gonzalez-Torres Untitled/ (Portrait of Ross in L.A.) où chaque visiteur peut se servir, dans un acte de transformation de la structure évoquant aussi l’idée de disparition potentielle.

"Rien n'est matériel dans l'espace"

Medardo Rosso

Chez Rosso, l’oeuvre ne semble jamais achevée, mais suspendue à une potentielle modification, à la possibilité d’une sorte d’érosion qui en redéfinit l’aspect en y ajoutant une nouvelle perception.

Medardo Rosso au Kunstmuseum de Bâle. Photo DB

Cette duplication évolutive se prête alors à une mise en scène et des motifs successifs. La sculpture, objet a priori statique, semble alors se déplacer dans un mouvement esthétique subtil.

L’oeuvre abandonne son unicité pour se déployer en de multiples réinterprétations.

Un cheminement qui peut confiner à une radicalité où le sujet se fond dans la matière jusqu’à devenir presque non identifiable.

Au premier plan, une oeuvre de Fischli & Weiss. Photo DB

"Nous n'existons pas! Nous ne sommes que jeux de lumière dans l'espace. Davantage d'air, de lumière, d'espace!"

Medardo Rosso

A travers le dessin, le geste de Rosso convoque une forme de spontanéité, une fulgurance capturée ensuite par la photographie, deux supports que l’artiste n’hésitait pas à montrer aux côtés de ses sculptures lors d’une exposition.

Tout cela fait de Medardo Rosso un formidable défricheur de l’art moderne, lui qui affirmait « Nous n’existons pas! Nous ne sommes que jeux de lumière dans l’espace », et propulsait son propos dans ce seul manifeste : « Davantage d’air, de lumière, d’espace ».

Dominique BANNWARTH

Exposition Medardo Rosso L’invention de la sculpture moderne présentée du 19 mars au 10 août 2025 au Kunstmuseum de Bâle (Suisse).

L'invention de la sculpture moderne