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« Métamorphose » : sept nouveaux talents contemporains à la Fondation Schneider

La « métamorphose » qui donne son titre à la nouvelle exposition de la Fondation François Schneider à Wattwiller se réfère à la transformation, au passage d’un état à un autre, au glissement de la matière et du sens.

Talents contemporains consiste en une initiative de la Fondation alsacienne qui décèle chaque année de nouveaux talents, leur propose une bourse de 15000 euros chacun et fait l’acquisition d’une oeuvre pour sa collection permanente.

Les sept lauréats de cette 13e édition, sélectionnés par un jury présidé par Jean-Noël Jeanneney, livrent leurs propositions dans ce nouvel accrochage dans l’écrin exceptionnel de la Fondation sur les hauteurs de Wattwiller.

Par Dominique BANNWARTH

Suhail Shaikh

Suhail Shaikh devant son installation intitulée « La délicate légèreté de l’être ». Photo DB

« Tout a commencé en Inde avec ma grand-mère », explique Suhail Shaikh, « elle disait pourquoi acheter quand tu peux fabriquer toi même ?». De là va naître sa passion pour le papier, son façonnage pour « trouver des courbes complexes ».

Une oeuvre en papier de Suhail Shaikh. Photo DB

Des études de design en Inde vont le convaincre encore plus que « le papier c’est de l’art, tous les éléments sont catégorisés ». Avec ce constat bien en phase avec la vocation de la Fondation Schneider qui l’accueille : « Il faut de l’eau pour fabriquer du papier, mais l’eau détruit aussi le papier ».

De ce rapprochement dangereux Suhail Shiakh a fait une écriture qui se décline dans cette grande forme sphérique de papier découpé et assemblé, suspendue au-dessus d’un bassin d’eau où elle se reflète, et intitulée La délicate légèreté de l’être.

« C’est comme si l’oeuvre racontait elle-même son histoire », suggère l’artiste.

Maryam KhosrovAni

Sève, l’oeuvre présentée par l’artiste iranienne Maryam Khosrovani se réfère à une forme d’introspection poétique et nostalgique dans le passé. L’exil combat l’oubli et installe une forme de résilience où les origines affleurent à la conscience. Comme l’épiphanie d’un paradis perdu.

Sève, neuf pièces présentées par l’artiste iranienne Maryam Khosrovani.
Photo DB

« Ce projet s’inspire d’un jardin iranien », décrit l’artiste qui utilise plusieurs techniques pour exprimer ce paysage intérieur. Crayon, broderie, papier piqué à l’aiguille, parfums évocateurs, fleurs fanées comme un herbier mélancolique qui se déploie en forme de tapis.

« Où est ma maison? » questionne Maryam née en Iran en 1981qui aujourd’hui vit et travaille entre Paris et New-York.

Mais son inspiration restée ancrée dans la culture personne: les façades d’Ispahan, le bleu des pigments de lapis-lazuli, les motifs de l’architecture de ces lieux de mémoire.

Aurélie SCouarnec

Des mains qui enserrent un oiseau blessé, le regard d’une chouette qui transperce la pénombre, un vol de martinet… les photographies d’Aurélie Scouarnec issues d’une série intitulée Ferae disent cette relation de l’humain à l’animal telles qu’elles les a captées dans des centres de soins pour la faune sauvage. « Je voulais m’approcher des gestuelles » des soigneurs, explique-t-elle, « être le plus proche de leurs sensations ».

Photographie de la série Ferae d’Aurélie Scouarnec.

Elle choisit de révéler ces sujets dans un clair obscur prononcé : « Je ne dévoile pas tout, insiste la photographe, on peut se représenter ce qui se passe entre l’homme et l’animal ».

Pour elle il s’agit aussi de témoigner à travers ces images, cette présence humaine des « soigneurs qui tentent de réparer les méfaits des humains qui pèsent sur la biodiversité ».

Elise Grenois

Formée à la HEAR (Haute Ecole des Arts du Rhin), Elise Grenois a choisi comme matières le verre et le cristal.

Elle met en oeuvre un processus crématoire basé sur la cristallisations de dépouilles d’animaux, de poisons, d’araignées de mer, sortes de « rebuts » qu’elle va figer dans la matière.

Les abris documentaires d’Elise Grenois.
Photo DB

« La cristallisation c’est soit conserver l’éphémère, soit dégrader le temps », argumente Elise Grenois qui utilise la technique de la cire perdue pour fondre ses pièces, laissant apparaître dans le verre les traces cendrées de la combustion des caracasses.

Son intention « les transformer, changer leur temporalité, comme une sorte d’anachronisme ».

Pascale Ettlin

Pascale Ettlin propose un travail pictural en grand format à « la recherche des failles, des instants fragiles, des moments de bascule », souligne l’artiste suisse.

Elle met en scène des éléments familiers qui tendent pourtant vers cet «Unheimlich », inquiétante étrangeté qui envahit la conscience, telle que l’a dépeinte Sigmund Freud.

Ces personnages représentés de dos nous incitent à suivre leur regard et à pénétrer dans le tableau. « Cela représente une distance et un relais à la fois », pense l’artiste qui laisse poindre dans ces scènes une forme d’imaginaire que chacun peut convoquer à sa façon.

Perdre Pied, une peinture de Pascale Ettlin.

Ainsi, cette jeune fille sur sa balançoire, tournée vers un paysage de terre et d’eau aux reflets colorés, est-elle suspendue à un réel harmonieux ou au contraire perchée au-dessus d’abîme insondable?

Une interrogation que suscite aussi cet autre personnage – toujours peint de dos – assis dans une bouée dont le regard pointe vers un groupe humain dans une embarcation de fortune, canot pneumatique emblématique des traversées de migrants  tentant de rejoindre une terre promis

Vardit Goldner

Une leçon de natation sans eau, juste couché sur un tabouret, telle est la trame de la vidéo axe l’artiste israélienne Vardit Goldner. Cette dernière, à travers ce film inattendu, centre son propos sur le sort des communautés bédouines et la façon don Israël traite cette population de près de 50 000 personnes. « Cette communauté existait avant même qu’Israël n’existe » rappelle Vardit Goldner en pointant « le manque de reconnaissance » dont souffrent les Bédouins, victimes d’un nomadisme contraint suite aux déplacements de leurs villages, les coupant de leur activité agricole et d’élevage.

Swimming lesson, vidéo de Vardit Goldner.

Si les Bédouins montrés dans cette vidéo apprennent à nager… sans eau, c’est tout simplement parce qu’ils n’ont pas accès à des piscines normales et que ne sachant nager sont exposés à des noyades en mer. C’est aussi le manque d’eau, renforcé par le réchauffement climatique, qui se signale dans cette oeuvre en forme de para ole.

Yosra Mojtahebi

Lilith, installation sculpturale et sonore figure une sorte de « corps-paysage-fontaine » animé par un flux liquide, tel le lait ou les liquides corporels.

Le corps occupe une place centrale dans le travail de l’artiste iranienne Yosra Mojtahedi, traversé par une forme « rage » où le sacré et le profane s’affrontent comme voués à une même matrice.

Organique, sensuelle, mystérieuse, la proposition esthétique de cette artiste interroge sur le rapport à l’humain et la nature. « Je suis retournée à la nature, très déçue de l’homme », confie-t-elle, tout en questionnant la notion de jouissance et de liberté de ce « corps sans frontières ».

Lilith par Yosra Mojtahedi

Le dessin surmonte l’une de ses installations: « Il devient sacré pour moi, avoue Yosra Mojtahedi, c’est l’espace intime entre moi et le monde ».

Dans la pénombre du sous-sol de la Fondation, ces étranges constructions ne livrent pas immédiatement la clé de leur interprétation. « Je joue avec la lumière et l’obscurité pour révéler ce qui est caché », suggère l’artiste.

Lilith par Yosra Mojtahedi